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Nous sommes passés brutalement d’une situation de résilience positive à une obligation de résistance inquiétante. Cette terrible guerre en Ukraine domine l’actualité 24h/24 et 7j/7. Les médias, tous focalisés sur le conflit, mettent au second plan la résurgence possible de la Covid, l’urgence climatique, et même les prochaines échéances électorales. Les habitants du monde entier sont encore sidérés, submergés d’horribles images de mort et de destruction.
Cette actualité désespérante tempère l’évolution optimiste de la consommation de fleurs et plantes envisagée pour nos filières. La guerre n’affecte pas que les deux belligérants, le siège économique autour de la Russie complique considérablement la relance européenne post-covid.
Énergie trop chère
Selon Royal FloraHolland, le chiffre d’affaires de la semaine 10 (7 au 13 mars 2022 ) a diminué d’un peu plus de 30% par rapport à la même période l’an dernier. Le nombre d’unités vendues était inférieur de 7,5%. La baisse de l’offre est principalement due à un recul de la production néerlandaise. Trois facteurs influencent cette évolution. En premier lieu, les prix très élevés de l’énergie qui diminuent l’offre sur le marché.
D’après la PlatformBloem, 40% des horticulteurs néerlandais vont rencontrer de graves problèmes financiers à l’expiration des contrats d’approvisionnement en gaz. Outre le chauffage et l’éclairage, les prix élevés de l’énergie affectent également les coûts logistiques qui sont en forte augmentation. La guerre en Ukraine provoque un arrêt de la demande en Ukraine, en Russie et en Biélorussie. Le déplacement de ces invendus vers d’autres marchés a déjà un effet négatif sur la formation des prix.
Les producteurs et commerçants de fleurs et plantes en Europe vont forcément être touchés par ces évolutions inquiétantes. En plus des prix imprévisibles des ressources énergétiques, les délais et les disponibilités d’approvisionnement de matières premières, déjà compromises par la crise de la Covid vont encore empirer : engrais et substrats, verre, métal, aluminium, pièces détachées et composants électroniques, cartons, emballages, étiquettes entre autres, se raréfient.
Les récents calculs réalisés pour les pépiniéristes néerlandais évaluent à l’automne 2021 par rapport à l’automne 2020 l’augmentation du coût de la main-d’œuvre à +10%, celle de la main-d’œuvre saisonnière à +15% et l’augmentation du coût des intrants à + 30% en moyenne (source : De Boomkwekerij).
Problèmes de main-d’œuvre
La disponibilité de main-d’œuvre saisonnière, déjà précaire, est aggravée par le conflit pour les exploitations horticoles des Pays-Bas, du Royaume-Uni, de l’Allemagne, de la Belgique. Au Royaume-Uni par exemple, les deux tiers des travailleurs temporaires employés dans les exploitations venaient d’Ukraine. Les producteurs doivent maintenant recruter des travailleurs saisonniers pour la récolte dans des pays aussi éloignés que le Maroc, la Mongolie ou même les Philippines.
La période COVID avait largement stimulé l’appréciation des fleurs et des plantes par les consommateurs. Jamais auparavant la valeur des produits horticoles n’avait été aussi palpable et valorisée qu’en cette période de crise sanitaire inédite. Toutes les enquêtes et indices de confiance concernant l’envie d’achat au global en Europe passent de l’optimisme au pessimisme.
Finances et marchés perturbés
De nombreux commerçants ont encore des factures impayées en Russie. Les producteurs équatoriens, par exemple, y ont des en-cours s’élevant à 35 millions de dollars et ils perdent un gros débouché. Même conséquence pour les autres pays d’Amérique centrale dont le commerce direct vers la Russie avait considérablement progressé ces dernières années. Les commerçants néerlandais attendent également le paiement de leurs factures. En Turquie, les prix des fruits, légumes et fleurs baissent brutalement de 50%, les producteurs cherchent activement des marchés alternatifs.
Les autres pays producteurs sont également contraints de trouver de nouveaux débouchés. Le Kenya, dépendant du marché européen pour 70% de sa production de fleurs coupées, cherche à diversifier sa clientèle avec la Chine, l’Australie, les Etats-Unis, le Japon. La Colombie, après une année de vente record de fleurs en 2021, cherche aussi à préserver ses parts de marché. Pour ces pays producteurs, les difficultés d’approvisionnement en engrais russe et ukrainien deviennent aussi très problématiques.
Si les deux années de crise sanitaire ont apporté à la filière une évolution positive inattendue, les années de tensions internationales à venir risquent bien de faire fondre rapidement les avantages acquis. Même si les prix de vente se sont améliorés, les marges sont loin de pouvoir soutenir longtemps les hausses incontrôlables du prix de l’énergie, les pénuries de main-d’œuvre, les difficultés d’approvisionnement et les coûts des matières premières essentielles.
L’inquiétude est plus ou moins forte en fonction de la dépendance au gaz russe et de l’étroitesse du taux de marge qui ne permet pas de supporter d’importantes variations.
Conséquences positives inattendues
Cette crise majeure va aussi avoir des conséquences positives inattendues en faisant avancer des dossiers européens complexes, entre autres : défense commune, approvisionnements concertés et mutualisés en matières premières, en gaz et en pétrole, développement accéléré des énergies renouvelables ou encore moindre dépendance envers les pays extérieurs à l’Europe.
Les technologies clés telles que l’IA, la robotisation, la technologie de l’hydrogène, les TIC., jouent un rôle important dans tous ces sujets. Ces technologies peuvent nous aider à progresser aujourd’hui et demain sur tous les fronts. Les innovations pour notre filière ne proviennent pas seulement de l’écosystème d’innovation « traditionnel » de l’horticulture, mais aussi des innovations révolutionnaires venant d’autres secteurs.